La production agricole et les systèmes agro-alimentaires d’un pays dépendent de nombreux facteurs, tels que la politique de l’Etat, le potentiel écologique, le niveau technologique, les aptitudes des producteurs agricoles et leurs initiatives. L’autosuffisance alimentaire a constitué un objectif de la politique alimentaire de plusieurs gouvernements africains. Cet objectif peut avoir été souhaitable sur le plan politique, mais il ne s’est pas toujours révélé réalisable sur le plan économique et écologique. Dans certains pays, on entendait par autosuffisance alimentaire une disponibilité de céréales de base produites localement suffisante pour couvrir les besoins énergétiques de la population; le plus souvent, on lui donnait le sens d’une disponibilité suffisante pour couvrir la demande du marché. La notion s’étend quelquefois au-delà des aliments de base, mais elle implique dans tous les cas que les pays n’aient pas besoin d’importer des produits alimentaires ou qu’ils minimisent autant que possible leur dépendance à l’égard des importations alimentaires. Une approche de ce genre peut déboucher sur un certain niveau de sécurité alimentaire, particulièrement dans les régions reculées où les marchés sont risqués, instables ou tout simplement inexistants, mais en règle générale une politique de stricte autosuffisance alimentaire n’est pas désirable.
Par contraste, la notion d’autonomie alimentaire prend en compte la possibilité d’un commerce international. Cette autonomie implique le maintien d’un certain niveau de production domestique à laquelle s’ajoute une capacité d’importer, grâce à l’exportation d’autres produits, le reste des aliments nécessaires pour couvrir les besoins de la population.
Le recours au commerce international pour assurer la sécurité alimentaire de tous les citoyens comporte des avantages et des risques qui sont au cœur du débat sur ces alternatives stratégiques. Toutefois, l’analyse de cette question dépasse le cadre du présent ouvrage.
Le potentiel de production et la sélection des cultures
Le potentiel productif d’une terre est déterminé par les conditions du sol et du climat, et par le niveau d’intrants et de gestion appliqués à cette ressource. Pluviale ou irriguée, la production végétale peut être maximisée en ajustant les choix des cultures aux caractéristiques climatiques et pédologiques du terrain. Les tentatives de cultiver des végétaux auxquels les conditions écologiques existantes conviennent mal déboucheront souvent sur une productivité faible ou nulle et, par voie de conséquence, sur une dégradation de la sécurité alimentaire. La figure 13 présente la carte des six zones climatiques principales de l’Afrique.
Le type d’intrants, leur quantité et le calendrier ont également un effet majeur sur le rendement. Les intrants en petite quantité vont généralement de pair avec une production de subsistance ou à petite échelle, un faible investissement en capital, le travail manuel, des cultivars locaux, peu ou pas d’engrais, aucune lutte contre les insectes et de petites superficies agricoles. Les intrants en grande quantité vont de pair avec une production commerciale, des investissements financiers plus ou moins importants, une mécanisation poussée, des cultivars améliorés, des engrais chimiques minéraux et des moyens de lutte contre les ravageurs, de vastes superficies d’exploitation et des marchés accessibles. En général, le continent africain dans son ensemble est caractérisé par un faible usage d’intrants.
L’affinité d’une terre pour une culture donnée peut être évaluée et mesurée en pourcentage du rendement le plus élevé qui puisse être obtenu. Les zones susceptibles de produire 80 pour cent au moins du rendement potentiel maximal sont classées comme très propices; les zones qui produisent de 40 à 80 pour cent sont propices; les zones qui produisent de 20 à 40 pour cent sont peu propices; et les zones qui rendent moins de 20 pour cent sont classées comme non propices à la culture en question. Dans les conditions qui prévalent actuellement en Afrique, la plus vaste étendue des terres (455 millions d’hectares) est celle qui convient à la culture du manioc; viennent ensuite les terres propices à la culture du maïs (418 millions d’hectares), de la patate douce (406 millions d’hectares), du soja (371 millions d’hectares) et du sorgho (354 millions d’hectares). En zone soudano-sahélienne, le mil est recommandé comme culture primaire sur les plus vastes étendues de terre, car il demande peu d’eau, tandis que le sorgho l’emporte en Afrique australe subhumide et semi-aride. C’est la culture du maïs qui convient le mieux aux vastes superficies de l’Afrique occidentale humide et subhumide et de l’Afrique orientale montagneuse. En Afrique centrale humide, le manioc est le meilleur choix sur la plus grande partie des terres. Le tableau 13 donne les niveaux du rendement que 11 cultures importantes atteignent en Afrique, selon l’aptitude du terrain. On constate des différences considérables de rendement entre un terrain très propice et un terrain qui ne convient pas. Le tableau montre également que la quantité d’intrants influence fortement les rendements.
FIGURE 13 |
Source: FAO, 1986. |
La spécialisation culturale et la sécurité alimentaire
TABLEAU 13 |
|||||
Niveaux de rendement des cultures selon l’aptitude du terrain (tonnes) |
|||||
Culture |
Niveau d’intrants |
Terrain très propice |
Terrain propice |
Terrain peu propice |
Terrain ne convenant pas |
Mil chandelle |
Elevé |
3,9-3,1 |
3,1-1,6 |
1,6-0,8 |
0,8-0 |
|
Faible |
1,0-0,8 |
0,8-0,4 |
0,4-0,2 |
0,2-0 |
Sorgho |
Elevé |
5,1-4,1 |
4,1-2,0 |
2,0-1,0 |
1,0-0 |
(plaine) |
Faible |
1,3-1,0 |
1,0-0,5 |
0,5-0,3 |
0,3-0 |
Maïs |
Elevé |
7,1-5,7 |
5,7-2,8 |
2,8-1,4 |
1,4-0 |
(plaine) |
Faible |
1,8-1,4 |
1,4-0,7 |
0,7-0,4 |
0,4-0 |
Soja |
Elevé |
3,4-2,7 |
2,7-1,4 |
1,4-0,7 |
0,7-0 |
|
Faible |
0,8-0,6 |
0,6-0,3 |
0,3-0,2 |
0,2-0 |
Haricot Phaseolus |
Elevé |
3,4-2,7 |
2,7-1,4 |
1,4-0,7 |
0,7-0 |
(plaine) |
Faible |
0,8-0,6 |
0,6-0,3 |
0,3-0,2 |
0,2-0 |
Coton |
Elevé |
1,1-0,9 |
0,9-0,4 |
0,4-0,2 |
0,2-0 |
|
Faible |
- |
0,2-0,1 |
0,1-0,5 |
0,5-0 |
Patate douce |
Elevé |
10,1-8,1 |
8,1-4,0 |
4,0-2,0 |
2,0-0 |
|
Faible |
2,5-2,0 |
2,0-1,0 |
1,0-0,5 |
0,5-0 |
Manioca |
Elevé |
13,6-10,9 |
10,9-5,4 |
5,4-2,7 |
2,7-0 |
|
Faible |
- |
2,7-1,4 |
1,4-0,7 |
0,7-0 |
Riz |
Elevé |
- |
4,1-2,0 |
2,0-1,0 |
1,0-0 |
|
Faible |
- |
1,0-0,5 |
0,5-0,3 |
0,3-0 |
Blé |
Elevé |
5,6-4,5 |
4,5-2,2 |
2,2-1,1 |
1,1-0 |
(de printemps) |
Faible |
1,4-1,1 |
1,1-0,6 |
0,6-0,3 |
0,3-0 |
Pomme de terre blanchea |
Elevé |
9,7-7,8 |
7,8-3,9 |
3,9-1,9 |
1,9-0 |
|
Faible |
2,4-1,9 |
1,9-1,0 |
1,0-0,5 |
0,5-0 |
a Poids sec.
Source: FAO, 1986.
Une première approche de la sécurité alimentaire pourrait consister en la promotion d’un système régional[3] de sécurité alimentaire basé sur les «avantages comparatifs». Chaque pays donnerait la préférence aux cultures prometteuses de bons rendements dans les conditions nationales courantes et couvrirait ses autres besoins alimentaires par le commerce interrégional. La Communauté du développement de l’Afrique australe (SADC) a pris des initiatives en faveur d’une politique de sécurité alimentaire régionale basée sur la spécialisation culturale, mais de nombreuses questions restent en suspens.
Dans certains pays, la culture du sorgho serait la plus appropriée du point de vue écologique. Pourtant, de nombreux cultivateurs et maints gouvernements canalisent de préférence leurs ressources vers la culture du maïs pour plusieurs raisons: le rendement potentiel est plus élevé, même si le succès des récoltes est plus aléatoire; le maïs est exportable dans la région; les adjuvants techniques sont disponibles; le maïs est plus facile à traiter que le sorgho, tant à l’échelle domestique qu’en usine. Le risque d’échec est plus grand pour le maïs parce que cette plante est particulièrement sensible au manque de précipitations caractéristique de l’Afrique orientale, où la saison des pluies commence tard, est entrecoupée d’une période sèche et finit très tôt. Néanmoins, le sorgho n’est pas sans problème non plus; il est notamment très vulnérable aux attaques des oiseaux granivores.
Une stratégie de spécialisation culturale qui tendrait à rétrécir la base alimentaire serait risquée, spécialement dans les zones à l’écologie fragile ou dépourvues d’un système de transport et de commercialisation assez efficace pour assurer rapidement la distribution de produits alimentaires variés à travers tout le pays. De plus, un système de production alimentaire où la principale culture de consommation serait aussi la principale culture de rapport, comme c’est le cas pour le maïs en Afrique orientale et australe, est ouvert aux plus grands risques, notamment pour les petits paysans pratiquant une agriculture de subsistance. L’échec d’une culture se traduit pour eux à la fois par une perte de revenus et de vivres, comme cela s’est vérifié lors de la sécheresse d’Afrique australe en 1992/93.
En Afrique, une importante fraction de la population dépend encore de l’agriculture à petite échelle pour son alimentation. C’est pourquoi les politiques modifiant l’utilisation des terres et les systèmes de culture propres à l’agriculture de subsistance ont un impact direct sur la disponibilité, l’accessibilité et la consommation des aliments. Les systèmes traditionnels d’affectation des terres, de gestion des exploitations et de pratiques culturales se modifient inévitablement à mesure que les petits exploitants doivent faire face aux pressions du marché et du gouvernement en faveur d’une productivité toujours plus élevée. Les cultivateurs sont amenés simultanément à produire un surplus commercialisable pour les marchés urbains et à nourrir leur propre famille, quand ils ne doivent pas, en plus, augmenter leur production de cultures de rapport pour l’exportation. La diversité des tâches met à rude épreuve les terres, le labeur et le temps des ménages agricoles, dont la sécurité alimentaire peut finalement se trouver affectée par cette économie de transition.
La commercialisation de l’agriculture: ses effets potentiels sur la sécurité alimentaire des ménages
Traditionnellement, la production alimentaire en Afrique en était restée au stade de la subsistance et le système d’exploitation se basait sur une agriculture itinérante et sur la jachère. Ces pratiques avaient pour effet de restaurer périodiquement la fertilité de la terre par le transfert des cultures sur des sols frais et reposés et par la mise au repos des terrains récemment cultivés. L’utilisation d’intrants extérieurs, comme les engrais chimiques, était minime, les cultivateurs se contentant d’appliquer parfois du fumier. De même, la production animale était pratiquée sur le mode extensif en libre pâture, puisque les éleveurs accompagnaient leurs troupeaux à la recherche de pâturages revigorés par les pluies saisonnières.
De tels systèmes d’exploitation étaient bien choisis d’un point de vue écologique et tout à fait soutenables dans les zones faiblement peuplées. Mais avec l’accroissement du nombre de personnes et d’animaux, des systèmes d’agriculture fixes sont apparus et la période de jachère s’est raccourcie. Les pratiques culturales sont devenues plus intensives; l’assolement, les récoltes répétées et les cultures intercalaires se sont imposées comme stratégies efficaces de maximisation de la productivité des terres, sans que pour autant la fertilité des sols soit mise en péril. Les systèmes d’exploitation sont devenus complexes, impliquant la production d’une grande variété de cultures alimentaires pour la consommation domestique. Cette stratégie a assuré la diversité des régimes alimentaires et a garanti dans une certaine mesure la stabilité des approvisionnements contre les risques climatiques et les pénuries saisonnières.
La monétarisation graduelle de l’économie et certains changements de l’environnement ont augmenté les besoins d’argent liquide. Par exemple, la demande s’est accrue dans le domaine de l’éducation, du logement, de la santé et des communications. Les petits cultivateurs ont opté de plus en plus pour les cultures de rapport, car ils s’efforçaient de créer des liquidités tant pour leur propre usage que pour procurer des devises à leur pays. Dans la plupart des cas, les gouvernements ont adopté une politique d’équilibre entre cultures d’exportation et cultures vivrières. Les pouvoirs publics de plusieurs pays d’Afrique orientale et australe ont vu dans le maïs la culture vivrière et de rapport la mieux indiquée pour les petits producteurs; ils ont donc encouragé la diffusion des «paquets technologiques» déjà bien connus dans les grandes exploitations commerciales. Néanmoins, des problèmes imprévus ont surgi, et le maïs produit par les petits cultivateurs n’a pas réussi à couvrir la demande des consommateurs.
La transition entre une agriculture de subsistance et l’exploitation des cultures de rapport offre aux cultivateurs l’occasion d’augmenter leurs revenus, mais elle comporte de gros risques. Sur le plan de la sécurité alimentaire, il s’agit du danger de dépendre davantage de cultures vivrières moins diversifiées; sur le plan financier, il s’agit des risques que font subir les fluctuations des prix aux capitaux investis par les producteurs et, si ces capitaux proviennent du crédit, des pressions exercées par les prêteurs. Les cultivateurs pauvres n’ont pas souvent tiré profit de l’innovation technologique et de l’entrée sur le marché, quand ils n’ont pas perdu au change. Dans l’ensemble, le passage aux cultures de rapport exerce un effet positif sur la nutrition, si le revenu que ces cultures procurent fait plus que compenser à la fois les aliments que l’on renonce à produire et les suppléments de prix des denrées alimentaires qui peuvent résulter d’une augmentation de la demande du marché et de la libéralisation des prix.
La sécurité alimentaire des ménages peut être altérée dans un sens ou dans l’autre par les modifications apportées aux systèmes d’exploitation dans le cadre de la transition vers une agriculture commerciale. En général, les cultivateurs traditionnels ont adapté leurs pratiques culturales pour tenir compte des contraintes écologiques, économiques et technologiques. Ils ont minimisé le risque par la plantation de cultures de base variées et dont la récolte est étalée au cours de l’année. La monoculture peut conduire aux pénuries saisonnières; en revanche, la tradition des cultures intercalaires amortit ce risque lors des périodes maigres (voir le chapitre 5).
De nombreuses communautés cultivent une variété principale à la fois pour leur consommation et comme source de revenus. S’il existe une bonne organisation du marché, cette culture sera vendue, souvent par le chef de famille (homme ou femme), comme principale source de revenu monétaire du ménage. Le ménage couvrira une partie de ses besoins alimentaires par prélèvement sur ses réserves et une autre partie en rachetant des aliments de base au fur et à mesure des besoins et/ou grâce à la culture de variétés secondaires, comme le mil, le sorgho, le manioc et les patates douces. Ces variétés secondaires servent à divers usages, dont la consommation familiale, le brassage de la bière, la vente dans le secteur informel, l’alimentation de la volaille et du petit bétail, la survie en cas de sécheresse (c’est notamment le cas du manioc), l’échange contre des semences, des petits animaux, de la volaille ou d’autres biens.
Dans la zone communale de Wedza, au Zimbabwe, les habitudes agricoles et de consommation sont déterminées surtout par la nécessité qu’ont les ménages de gagner de l’argent et de subsister (encadré 12). Les ménages sont donc engagés dans des activités variées, y compris la production de vivres en quantité suffisante pour couvrir les besoins au jour le jour et pour constituer une petite réserve d’aliments de base qui devra durer jusqu’à la saison suivante. L’approvisionnement alimentaire pour la consommation familiale peut être placé sous la responsabilité conjointe du mari et de l’épouse, ou bien, selon le contexte culturel, sous la responsabilité principale de l’épouse, qui cultive parfois ses propres champs spécifiquement pour nourrir sa famille (encadré 13).
Dans le contexte africain, la promotion et la commercialisation des cultures de rapport revêtent une grande importance pour les femmes. La commercialisation s’est souvent amorcée grâce à l’extension des zones de culture, plutôt qu’en remplaçant les cultures traditionnelles par des variétés modernes ou des cultures de rapport. En définitive, l’adoption des cultures de rapport n’a souvent débouché que sur une augmentation de la demande de main-d’œuvre, surtout de la main-d’œuvre féminine. Les effets des nouvelles technologies agricoles sur la charge de travail des femmes et sur leur contrôle des ressources ont été bien étudiés (Kumar, 1994).
Lorsqu’on cultive des variétés hybrides, l’obtention des meilleurs rendements dépend souvent du moment où les facteurs de production sont mobilisés, main-d’œuvre comprise. Ce n’est donc pas seulement la quantité de main-d’œuvre qui compte, mais aussi sa distribution saisonnière. Dans de nombreux cas, ce temps de travail est pris sur d’autres activités, comme l’entretien du ménage, le jardinage, la garde des enfants et la préparation habituelle de repas équilibrés. Quand les besoins énergétiques des adultes augmentent, la consommation alimentaire augmente aussi dans le ménage, vraisemblablement aux dépens des enfants. Par ailleurs, l’état nutritionnel des femmes surchargées de travail risque d’être compromis, si les aliments ne sont pas disponibles en quantité suffisante pour satisfaire leurs besoins énergétiques accrus.
ENCADRÉ 12 |
Dans la région de Wedza, au Zimbabwe, la plupart des ménages essaient de combiner plusieurs méthodes pour améliorer leur niveau de vie. Leurs stratégies sont les suivantes:
Les ménages peuvent ainsi espérer:
|
Source: Truscott, 1986. |
ENCADRÉ 13 |
Traditionnellement, et aujourd’hui encore, on estime que c’est aux femmes qu’il incombe de subvenir aux besoins alimentaires quotidiens de la famille, «depuis les champs jusqu’à l’assiette». L’origine de cette assertion remonte à la division traditionnelle des tâches entre hommes et femmes, l’homme étant chasseur, propriétaire du bétail et chargé des travaux pénibles, tels que le défrichage et les labours. Etant propriétaire des terres (grâce à l’usufruit) et du bétail, l’homme avait le contrôle des biens les plus précieux. Aujourd’hui, cette division des tâches n’est plus aussi stricte qu’autrefois car beaucoup de femmes assument davantage de responsabilités dans l’élevage, le labour et d’autres tâches. La plupart des ménages ayant fait l’objet de l’enquête estimaient que c’étaient les femmes qui avaient le plus de responsabilités dans la production de la majorité des cultures. Dans la moitié des ménages interrogés, le revenu provenant de la vente du maïs était perçu conjointement par le mari et son épouse, et dans deux cinquièmes par la femme seule. Presque toutes les autres cultures (sauf le tournesol et le coton, qui sont des cultures de rapport) sont appelées «cultures de femmes». Une étude antérieure menée dans la région de Wedza avait montré que les hommes avaient encore un rôle clé dans la prise des décisions pour le choix des cultures à pratiquer, l’accès à des prêts et le contrôle des revenus provenant de la vente des céréales. Parmi les ménages interrogés, quelques divergences sont apparues. Certaines femmes de Wedza estimaient qu’elles devraient avoir accès à la terre de plein droit ou conjointement avec leur mari pour venir à bout de l’inégalité. En adhérant massivement à des groupements d’agriculteurs, les femmes ont trouvé un moyen pour surmonter quelques-uns des obstacles auxquels elles sont confrontées. |
Source: Truscott, 1986. |
La production de cultures de rapport nécessite souvent l’utilisation de divers intrants supplémentaires. Les cultivateurs qui veulent obtenir de meilleurs rendements sont amenés à acheter des semences hybrides et autres graines améliorées pour remplacer leurs propres variétés locales mises de côté lors de la récolte précédente. Ils doivent souvent recourir au crédit pour acheter non seulement des semences, mais aussi des engrais et des pesticides. Ainsi, les cultivateurs engagés dans les cultures de rapport courent le risque de s’endetter, spécialement si le produit de la récolte précédente leur est payé tardivement. Dans ces circonstances, les familles risquent de manquer d’argent liquide et de voir leur sécurité alimentaire compromise.
En dépit des risques éventuels, l’agriculture commerciale peut offrir de bonnes perspectives à la sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages, surtout quand elle est organisée de manière à mobiliser également les paysans pauvres. Il est parfois nécessaire de stimuler la productivité des petits cultivateurs grâce à des mesures bien ciblées, comme les incitations à la production, le développement des infrastructures de commercialisation et la poursuite de la recherche concernant les terres non irriguées et autres zones marginales. Ces mesures auront un impact d’autant plus grand qu’elles seront prolongées par des programmes de vulgarisation agricole et d’éducation nutritionnelle. Les programmes qui visent à augmenter la production et les profits des entreprises contrôlées par des femmes peuvent également contribuer à améliorer la sécurité alimentaire des ménages. Les études ont souvent montré que l’argent gagné par les femmes a beaucoup de chances de servir à accroître la consommation alimentaire de la famille. Toutefois, il faut bien mesurer le pour et le contre des projets ciblés sur les femmes visant à augmenter leurs revenus, mais qui absorberaient une part excessive de leur temps, notamment celui qu’elles consacrent à leurs enfants.
Une politique d’autosuffisance de la production alimentaire, ou l’adoption d’une politique de «l’aliment d’abord», qui privilégie les cultures vivrières jusqu’au point d’exclure les cultures de rapport, n’est pas nécessairement souhaitable ni même vraiment intéressante pour soulager la malnutrition, dès lors que l’infrastructure commerciale et de transport est assez bonne pour ne pas entraver le commerce international. Si l’infrastructure commerciale n’est pas bien développée, il faut la renforcer dans l’intérêt, à long terme, d’une sécurité alimentaire durable. A court et moyen terme, il faut encourager à la fois les cultures vivrières et les cultures de rapport, sans oublier les jardins potagers et l’élevage des animaux de basse-cour, dans une perspective d’amélioration de la sécurité alimentaire.
Les ménages qui écoulent leurs récoltes sur le marché, au lieu de produire uniquement pour se nourrir, augmentent leurs revenus et réussissent probablement à accroître la consommation alimentaire des membres de la famille, à condition que le passage aux cultures de rapport n’implique aucun changement dans le contrôle des revenus domestiques, qui pourrait se traduire par une réduction des achats de denrées alimentaires.
Une autre manière de créer de l’emploi et des revenus consiste à installer des petites unités industrielles de nettoyage et de triage, de traitement et de conditionnement, de transport et de commercialisation des récoltes de produits alimentaires et autres. Ce créneau est à la fois porteur de promesses de développement général et d’augmentation des revenus des couches les plus pauvres de la population.
La commercialisation des produits agricoles, la promotion d’une industrie agro-alimentaire utilisatrice de main-d’œuvre et l’opération d’un système alimentaire dynamique, appuyées par une politique appropriée de l’environnement, constituent la seule voie de sortie de l’agriculture de subsistance et permettent aux communautés et aux gouvernements de créer la richesse nécessaire au financement des améliorations sociales et structurelles souhaitées. Il faut que la croissance de l’agriculture profite aux pauvres et que les populations d’aujourd’hui et de demain puissent satisfaire leurs besoins de consommation. A cet égard, le développement et la popularisation de technologies agricoles favorables à la nutrition, parce qu’elles tiennent compte des caractéristiques de l’environnement et sont adaptées aux possibilités des différentes catégories de cultivateurs, revêtent la plus haute importance.
Les enclos agricoles et les jardins arborés
Dans les régions humides et subhumides, les ménages entretiennent souvent des enclos agricoles ou jardins domestiques (figures 14 et 15). Le jardin domestique n’est autre qu’un système agricole pratiqué par l’exploitant ou par le ménage agricole (figure 16), sauf en zones urbaines et suburbaines ou si la terre est rare, auquel cas le jardin est souvent la seule parcelle cultivée. Ce jardin est donc l’un des éléments du système agro-alimentaire dans son ensemble; il dépend de la même gestion ménagère et il est soumis aux mêmes processus de décision (Okigbo, 1994).
Le jardin domestique comprend souvent une superficie agricole permanente, ou jardin arboré, qui contient un mélange équilibré de cultures pérennes et annuelles. Ce jardin forme une étoile, avec la ferme au centre et des sentiers qui en partent vers les différentes parcelles cultivées et les autres unités de production consacrées aux cultures annuelles de rapport ou de consommation.
Les jardins domestiques sont souvent très diversifiés. Les mélanges de végétaux que l’on y trouve résultent principalement de la sélection et de la culture délibérées d’une grande variété de plantes et d’arbres qui occupent des espaces complémentaires, se protègent mutuellement et constituent des ensembles de cultures vivrières et de rapport (tableau 14). On y élève aussi, bien qu’à petite échelle, des moutons, des chèvres, de la volaille et peut-être quelques bovins et porcs, qui sont une source d’aliments, de revenus et de fumier. Les systèmes de culture mixte d’arbres et de plantes prolongent considérablement le temps des récoltes, assurant ainsi la disponibilité continue d’un produit alimentaire ou d’un autre. Une fois qu’elles ont pris, les espèces arbustives ne demandent que peu de travail et d’intrants pour leur entretien. Elles assurent une disponibilité alimentaire continue pendant des années, sans qu’il soit nécessaire de replanter chaque année.
FIGURE 14 |
Source: Asare, Oppong et Twum-Ampofo, 1985. |
La diversité biologique et la complexité des jardins domestiques diminuent à mesure que l’on passe des régions humides aux régions semi-arides et arides des pays sahéliens. Selon la définition de l’Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales (ICRISAT), les régions semi-arides sont caractérisées par une pluviométrie moyenne de 400 à 1 400 mm par an. Sur l’année, les précipitations y excèdent l’évapotranspiration potentielle pendant deux à sept mois. Les pluies sont irrégulières dans le temps et l’espace, et ce problème est d’autant plus marqué que la région est moins bien arrosée. La saison sèche est vraiment une période d’aridité, avec ses jours torrides et ses nuits chaudes. Dans certaines zones, les pluies ne dépassent pas 30 mm par mois pendant cinq à sept mois de l’année. La croissance végétale est donc minimale pendant une grande partie de l’année.
FIGURE 15 |
Source: Asare, Oppong et Twum-Ampofo, 1985. |
FIGURE 16 |
Source: Okigbo, 1994. |
TABLEAU 14 |
||||
Les systèmes d’exploitation agricole en Afrique occidentale |
||||
Région |
Cultures dominantes |
Cultures secondaires |
Elevage |
|
Cultures de subsistance |
Cultures de rapport |
|||
Tropiques humides/forêt pluviale |
Igname |
Cacao |
Légumes |
Caprins |
Forêt/savane |
Sorgho |
Soja |
Taro |
Caprins |
Savane guinéenne boisée |
Sorgho |
Arachide |
Patate douce |
Bovins |
Savane soudanienne et sahélienne |
Mils |
Arachide |
Légumes |
Bovins |
Hautes terres tropicales |
Mils |
Café arabica |
Patate douce |
Bovins |
Source: Okigbo, 1983.
Dans ces régions, il est indispensable d’augmenter la productivité de la terre et de réduire le risque d’extension des cultures à des terres encore plus marginales, car cela conduirait à la dégradation complète de ces sols. Comme les zones arides sont caractérisées par une forte alternance saisonnière, la disponibilité des ressources évolue selon le cycle annuel. Le manque d’eau est un des principaux obstacles au succès du jardinage en zone aride; cependant, une gestion efficace des sols et la mise en œuvre de procédés économiques et valables du captage et de la conservation de l’eau permettent de continuer à cultiver certaines variétés pendant une partie de la saison sèche.
En zone aride, les jardins domestiques peuvent apporter une contribution significative au bien-être nutritionnel et économique des ménages, en réduisant le niveau et la durée des pénuries alimentaires saisonnières et parce qu’ils introduisent, dans la cuisine familiale, une plus grande variété d’aliments riches en nutriments. Les encadrés 14 et 15 énumèrent quelques principes essentiels d’horticulture et quelques noms de plantes qui conviennent aux jardins domestiques des zones tropicales semi-arides.
Comme les terres marginales de l’Afrique sont beaucoup plus étendues que ses terres fertiles, irriguées ou non, toute augmentation, même modeste, de la production alimentaire des zones semi-arides peut apporter une contribution sensible à la sécurité alimentaire de ce continent.
D’un point de vue écologique, l’exploitation mixte - jardin domestique ou jardin arboré -, complétée par le petit élevage, forme un des systèmes agricoles traditionnels les plus intéressants. En effet, elle maximise la production biologique, protège le sol contre l’érosion et peut fournir en continu les ingrédients d’un régime alimentaire varié et nutritif, assurant ainsi la sécurité alimentaire du ménage exploitant. Cependant, la croissance démographique a quelquefois poussé les cultivateurs à adopter des pratiques agricoles conduisant à l’arrachage des arbres, ce qui accélère l’érosion du sol, tout en diminuant les rendements des cultures et les profits du travail. La disparition des arbres s’est souvent traduite par une dégradation sévère de l’environnement. La substitution incessante des jardins domestiques et des systèmes agricoles traditionnels par les systèmes de production en ligne s’est également traduite par l’accélération de l’érosion des sols, la dégradation des terres et finalement la détérioration générale de l’environnement.
ENCADRÉ 14 |
Dans les zones tropicales semi-arides, le potager entoure parfois la maison ou se trouve sur une parcelle du ménage, ou bien dans une zone communale de jardinage. C’est quelquefois le potager d’une seule famille, ou le jardin d’un projet générateur de revenus pour un groupement de femmes du village ou un groupement de jeunes, ou encore le jardin d’un projet scolaire ou celui d’un centre de santé. Les suggestions qui suivent préconisent un mode de jardinage local plutôt qu’un modèle stéréotypé. L’organisation du potager est adaptée à l’environnement semi-tropical. Le potager fournit de nombreux produits tout au long d’une longue période de récolte. A l’inverse des cultures annuelles en lignes bien droites, qui caractérisent les pays industrialisés des régions tempérées, le jardin mixte en pleine production est un mélange dense de cultures annuelles et arbustives. Il utilise au mieux la surface limitée et en maximise le rendement, même si certaines plantes pourraient produire davantage avec plus d’espace et de soleil. Il comporte plusieurs étages de végétation et utilise pleinement l’espace aérien avec un maximum d’arbres, d’arbustes et de plantes grimpantes. Les racines également exploitent différents niveaux du sous-sol, certaines d’entre elles près de la surface et d’autres, notamment les racines d’arbres, plus en profondeur pour y chercher l’humidité. Un bon plan de jardinage mixte tient compte de la façon dont les différentes plantes se partagent la lumière, l’air et l’espace souterrain, tout en laissant peu de place aux mauvaises herbes. Le jardin à étages fournit une couverture d’humus et protège le sol et les plantes du vent, ainsi que des pluies ou d’un soleil excessifs. La fertilité du sol est améliorée grâce au compost, au paillage et à l’incorporation de matériel végétal sec. Les légumineuses fertilisent le sol, et certaines cultures diminuent les attaques de parasites. D’un point de vue économique, le jardin mixte est un système de production à faible capital et à fort rendement économique. Si la famille n’est pas en mesure de garder des semences et des plants, ces derniers sont généralement disponibles à bas prix dans le commerce. La plupart des plantes locales ont une bonne résistance aux parasites et aux maladies. En général, elles ont besoin de moins d’engrais et d’eau que les variétés des pays tempérés. L’aspect du jardin change énormément selon les saisons. Pendant la saison des pluies, c’est une masse de verdure. En saison sèche, toute verdure disparaît, à l’exception de la masse vert foncé des arbres entourant la maison et d’un petit lopin de terre arrosé. Un grand jardin mixte fournit de façon continue des fruits et des légumes, et apporte donc au régime familial de bonnes quantités d’énergie, de fer, de protéines et de vitamines A et C. Un jardin, surtout quand il est planté d’arbres, est un agrément pour le ménage et les alentours. Il peut en outre fournir du bois de feu. |
Source: OMS/UNICEF, 1985. |
ENCADRÉ 15 |
Légumes à feuilles vert foncé
Fruits et légumes-fruits
Légumineuses
Oléagineux
Cultures de base
|
L’urbanisation progressive et la déforestation menacent la persistance de certaines plantes comestibles et utiles présentes dans les jardins domestiques, mais presque à l’état sauvage, et d’ailleurs rarement utilisées. La concentration des efforts sur un petit nombre de cultures de base, comme le maïs et le riz, et la modification des habitudes alimentaires en faveur d’une consommation croissante d’aliments préparés ont rétréci la base alimentaire des citadins et même, dans une certaine mesure, des habitants des campagnes. Tous ces facteurs amènent à souhaiter que des mesures soient prises pour que le potentiel des plantes que l’on retrouve dans les jardins domestiques et arborés soit mieux exploité, grâce aux améliorations génétiques, au perfectionnement de la gestion des jardins et aux progrès de la transformation et de l’utilisation.
L’agriculture irriguée
Les systèmes agro-alimentaires et les types de production agricole africains ont traditionnellement privilégié les cultures pluviales. L’accroissement des besoins vivriers était principalement couvert par l’extension des superficies cultivées. Mais les bonnes terres deviennent rares et les agriculteurs n’ont plus guère d’autre choix que de dynamiser les systèmes de production pour augmenter les rendements par unité de surface et par heure de travail. Si la production alimentaire doit se maintenir à la hauteur de la croissance démographique et s’il faut éviter de dépendre des importations commerciales et spéciales, une augmentation de production de l’ordre de 4 pour cent par an sera nécessaire. Des essais d’augmentation de la production agricole des zones arides par le développement de l’irrigation sont actuellement menés. La culture irriguée convient particulièrement bien à la production horticole très rentable à la périphérie des villes; elle permet aussi d’étendre la période de production d’autres cultures, comme le blé, le riz ou l’orge, qui poussent mal sur la plus grande partie de l’Afrique.
L’Afrique dispose d’un vaste potentiel physique pour l’agriculture irriguée: les superficies irrigables sont importantes; d’énormes réserves d’eau peuvent servir à l’irrigation. En moyenne, 27 pour cent de ce potentiel sont exploités en Afrique continentale, avec de larges disparités selon les régions. L’Afrique du Nord exploite déjà 79 pour cent de son potentiel, mais dans les pays d’Afrique centrale qui disposent de ressources hydriques assez abondantes, une grande proportion de ce potentiel reste encore à exploiter. L’Afrique subsaharienne, qui compte à peine 4 pour cent de terre arable irriguée, est encore loin de rejoindre la moyenne mondiale de 18,5 pour cent.
Diverses considérations d’ordre institutionnel, économique et social figurent parmi les obstacles majeurs au développement d’un programme global de production irriguée, notamment sous la forme d’unités de production à régie centrale, telles que les fermes d’Etat. Les grands programmes d’irrigation tendent à coûter cher, tant à l’installation qu’à l’entretien, de telle sorte qu’il faut évaluer soigneusement leur viabilité et leur prix avant d’en recommander l’installation comme stratégie d’augmentation de la production alimentaire. D’autres approches ont également un bon potentiel d’accroissement durable de la production alimentaire à la mesure des besoins; ce sont les petits systèmes communautaires d’irrigation basés sur les technologies artisanales locales et qui comprennent des procédés de recueil des eaux, des petits systèmes de pompage et l’aménagement des marais des vallées intérieures (connus sous le nom de fadema au Nigéria et de vleis, dambos ou mapani en Afrique australe).
Il faut également tenir compte des risques écologiques associés aux projets d’irrigation. La saturation hydrique et la salinisation du sol sont des causes majeures de la baisse des rendements sur les terres irriguées. La saturation peut se produire quand les conditions de drainage sont insuffisantes. La salinité du sol augmente parce que les plantes absorbent de l’eau pure et que le sel contenu dans l’eau d’irrigation reste là presque dans sa totalité. La dégradation des ressources hydriques qu’entraîne une exploitation excessive de la nappe phréatique par le creusement de puits artésiens est désormais reconnue comme cause de désertification dans plusieurs pays, notamment l’Inde (encadré 16). La Chine a développé une approche novatrice, «le concept des quatre eaux», et démontré ainsi qu’au prix d’un contrôle global et de la supervision de toutes les eaux, qu’il s’agisse de la nappe phréatique, des eaux de surface, de l’humidité superficielle ou des pluies, il est possible d’empêcher la salinisation et de récupérer les terres salines (FAO, 1995d).
Les projets d’agriculture irriguée, dont on attend une augmentation de la disponibilité alimentaire et, par suite, une amélioration de l’état nutritionnel de la population, ont souvent eu des effets négatifs sur la santé. Ainsi, on a pu attribuer l’augmentation de la prévalence de la schistosomiase et du paludisme à la mise en œuvre de nombreux projets de développement des ressources hydriques (tableau 15). Il ne fait pas de doute qu’en climat chaud la présence d’un système d’irrigation, avec ses grandes longueurs de berges, de réservoirs et de canaux, peut assurer aux vecteurs de la schistosomiase et du paludisme l’habitat le plus favorable, mais on n’a pas encore déterminé dans quelle mesure les pratiques d’irrigation contribuent par elles-mêmes à l’incidence de ces maladies.
Des études récentes ont montré que, dans la schistosomiase, l’infection intervient moins au cours de la phase d’irrigation que pendant le contact avec l’eau polluée, surtout si l’eau courante et l’hygiène font défaut. La fourniture d’eau pure, l’hygiène, les soins de santé et l’éducation sanitaire réduisent de manière significative l’incidence de la schistosomiase, comme cela a été démontré en Egypte, affectée par la schistosomiase depuis le temps des pharaons. De même, des études conduites en Inde semblent montrer qu’il n’y aurait pas de corrélation directe entre l’indice annuel des larves d’anophèles et la présence ou l’absence de paludisme. Selon les recherches, des facteurs autres que la seule présence d’eau d’irrigation, par exemple un mauvais drainage, peuvent contribuer à la diffusion des maladies transmises par vecteur. Il faut encore approfondir la recherche pour arriver à mieux comprendre ces relations complexes entre agriculture, environnement et santé (Biswas, 1994).
ENCADRÉ 16 |
Le succès de l’expansion de l’irrigation, ces dernières décennies, est dû en grande partie à l’exploitation des nappes phréatiques à l’aide de puits artésiens. Il s’agit de petites réalisations rapides et économiques, sans perte de terrain agricole ni destruction d’habitats, contrairement aux grands projets d’irrigation par gravité et retenues d’eau. Le nombre de ces puits s’est accru très rapidement. En Inde par exemple, il est passé de près de 90 000 en 1950 à plus de 12 millions en 1990. Toutefois, derrière ce succès, on passe sous silence le fait qu’un développement agricole fondé sur les nappes phréatiques n’est pas viable s’il utilise de l’eau «fossile» ou si les taux d’extraction dépassent les taux de renouvellement. L’expansion rapide de l’irrigation par puits artésiens a amené des pressions extrêmes sur une ressource d’ordinaire statique car elle se renouvelle lentement. Le problème a été exacerbé par les pressions qui s’exercent généralement loin des sites d’extraction, surtout par la déforestation des bassins versants situés en altitude, le surpâturage ou d’autres formes de dégradation des terres, qui accélèrent le ruissellement des eaux de pluie et réduisent leur infiltration dans le sol. En conséquence, le niveau des nappes phréatiques baisse, ce qui cause de nombreux problèmes sur le plan écologique, économique et social. Dans beaucoup de régions côtières, la salinisation du sol devient problématique. Le surpompage accroît le montant des investissements et les coûts d’opération, car l’abaissement du niveau de l’eau exige des puits plus profonds et donc davantage de combustible pour la pomper. Dans certains cas, les agriculteurs pauvres, qui ne disposaient pas du capital nécessaire pour faire creuser davantage leur puits, ont dû se remettre à l’agriculture en sec. Dans d’autres cas, les ajustements nécessaires ont été trop tardifs et les terres ont été désertifiées. |
Source: FAO, 1995d. |
Le nomadisme et les systèmes agro-alimentaires des zones semi-arides
Les enclos agricoles et les jardins arborés forment un système agro-alimentaire viable dans les régions régulièrement arrosées par les pluies, mais certaines zones climatiques n’offrent quasiment aucune possibilité à l’agriculture pluviale. Les populations des zones peu arrosées par les pluies, au Sahara, au Sahel et dans les zones soudano-sahéliennes semi-arides, pratiquent des systèmes agro-alimentaires très différents de ceux des cultivateurs des zones humides et doivent affronter de nombreux problèmes très délicats pour leur bien-être nutritionnel (encadré 17).
TABLEAU 15 |
|||||
EXEMPLES DE PRÉVALENCE ACCRUE |
|||||
Projet |
Date de la mise en service |
Pays |
Prévalence avant le
projet |
Prévalence après le
projet |
Intervalle
écoulé |
Barrage d’Assouan (premier) |
1900 |
Egypte |
6 |
60 |
3 |
Projet de Gezireh (irrigation) |
1925 |
Soudan |
0 |
30-60 |
15 |
Arusha Chini (irrigation) |
1937 |
Tanzanie |
Faible |
53-86 |
30 |
Lac Kariba |
1958 |
Tanzanie et Zimbabwe |
0 |
16 (adultes) |
10 |
Lac Volta |
1966 |
Ghana |
Faible |
90 |
2 |
Lac Kainji |
1969 |
Nigéria |
Faible |
31 |
1 |
|
|
|
|
45 |
2 |
Source: Rosenfield et Bower, 1978.
L’extension de l’agriculture aux zones marginales met en péril le système agro-alimentaire des éleveurs nomades. Sur ces sols fragiles, la fertilité des terres s’éteint rapidement après la destruction des pâturages saisonniers. L’érosion et la dégradation définitive de l’environnement s’ensuivent souvent.
Pour renforcer la viabilité des systèmes de production alimentaire tiraillés entre les
éleveurs nomades et les cultivateurs itinérants, il est parfois nécessaire de pratiquer plus systématiquement l’agroforesterie et le paillage des semis. Une végétation permanente peut réduire le risque d’érosion en assurant une couverture végétale, en aidant à conserver l’humidité sous les paillis, en augmentant le contenu organique du sol et en stimulant le recyclage des nutriments. La plantation en ligne des Acacia et des Leucaena, de la famille des Mimosacées, fournira de la paille et du foin et enrichira le sol grâce à leur propriété de fixateurs d’azote. D’ailleurs, un système agro-alimentaire qui intègre ces éléments, des cultures arbustives permanentes, des cultures annuelles et des petits animaux fait déjà partie de la tradition de certaines zones soudano-sahéliennes de l’Afrique occidentale. Un tel système offre plus de perspectives de stabilité écologique et de sécurité alimentaire que des systèmes moins diversifiés.
ENCADRÉ 17 |
Cette famille peule «noble» de six personnes vit dans des huttes rondes faites de troncs séchés, qui résistent bien à la pluie quand elles sont nouvellement construites. Elle possède 24 têtes de gros bétail et 10 chèvres, et cultive du mil pendant la saison des pluies. Lors de la saison humide, les pasteurs campent autour d’étangs remplis d’eau de pluie. En novembre, lorsque les étangs s’assèchent, les jeunes hommes, associés en coopératives regroupant plusieurs foyers, partent avec le gros du troupeau à la recherche de meilleurs pâturages. Le reste de la famille garde les chèvres, les animaux les plus faibles et quelques vaches laitières, et campe alternativement à la lisière d’un village pendant les mois froids de la saison sèche (de novembre à février), achetant ou troquant de l’eau de citerne, et autour d’un puits pendant les mois chauds de cette même saison. Les hommes assument la responsabilité du gros du troupeau et des principales opérations de la culture du mil. Les garçons s’occupent des chèvres et des veaux. Les femmes et les filles vont chercher le bois de feu et l’eau nécessaires aux usages domestiques; elles aident à la moisson, pilent le mil et préparent les repas. L’apport énergétique alimentaire du foyer atteint son maximum en octobre, après la moisson, avec 14 700 kcal par jour (65 pour cent provenant du mil et 35 pour cent du lait). Si l’on considère que 9 105 kcal suffisent à couvrir l’ensemble des besoins des enfants et les besoins d’entretien des adultes, cela signifie que ces derniers disposent de 5 595 kcal pour travailler et reprendre du poids. Par contre, de décembre à juin, la consommation du foyer n’est que de 7 840 à 8 820 kcal par jour (9 à 20 pour cent provenant du lait), ce qui signifie que son bilan énergétique est déficitaire. A la saison des pluies, le régime est complété par des produits de cueillette. L’apport énergétique en juin/juillet est de 9 996 à 10 740 kcal par jour (43 à 50 pour cent provenant du mil, 8 à 12 pour cent du lait et 42 à 45 pour cent des produits de cueillette). L’homme (1,72 m) et la femme (1,63 m) ont atteint leur poids maximal en novembre/ décembre, pesant respectivement 55,3 kg et de 49,6 kg. La période de nourriture abondante, avec relativement peu de travail, qui a suivi la récolte, leur a permis de prendre respectivement 2,3 et 0,7 kg de poids par rapport à juillet/août. Pendant la saison sèche, la diminution des rations alimentaires et l’allongement des distances à parcourir pour l’eau et la pâture ont entraîné des pertes de poids de 2,2 et 1,5 kg, respectivement, en mai/juin. Malgré de meilleures rations alimentaires pendant la saison des pluies, les efforts exigés par la culture du mil les ont empêchés de reprendre du poids jusqu’à la fin de la moisson. L’évolution du poids des quatre enfants (âgés de 5 à 12 ans) entre juillet/août et novembre/ décembre a oscillé de + 0,6 à + 1,5 kg, contre - 0,7 à + 0,5 kg entre novembre/décembre et juillet/août. Malgré le ralentissement de leur croissance pendant la saison sèche, leur poids est rarement inférieur à 80 pour cent du poids normal pour leur taille. Les foyers qui disposent de suffisamment de lait ou de céréales à échanger pendant la saison sèche, peuvent se permettre de réduire leurs ventes de bétail et leur dépendance à l’égard du marché. Cependant, l’épuisement des réserves alimentaires pendant les mois chauds de la saison sèche oblige parfois à vendre à perte de jeunes animaux. En 1982/83, les ventes de bétail ont représenté 93 pour cent des revenus en espèces des foyers, dont le revenu global se composait à 68 pour cent de céréales qu’ils troquaient et 5 pour cent de laitages qu’ils troquaient également. La moitié de leurs dépenses en espèces étaient consacrées à l’achat de céréales, et 55 pour cent de leurs échanges en nature à procurer des laitages. La situation s’est récemment aggravée en raison de la détérioration des termes de l’échange due à la sécheresse. Un taureau reproducteur qui valait en 1982 l’équivalent de 1300 kg de mil ne valait plus que 520 kg un an plus tard, le prix du mil ayant doublé alors que le prix du bétail chutait. De nombreux pasteurs réduits à vendre leurs troupeaux, se sont trouvés en situation de dépendance économique. Si la majorité d’entre eux ont désormais suffisamment reconstitué leur cheptel pour reprendre leur activité, ceux qui n’ont pas eu la même chance se trouvent dans une position difficile par rapport au marché. |
Source: FAO, 1985b. |
Au Botswana et au Swaziland, la loi confère aux savanes et aux herbages naturels le statut de pâturage communautaire pour le bétail, notamment pour les bovins, qui forment une composante essentielle des systèmes agro-alimentaires de ces pays. Ces terres de pâture sont une source de fourrage et de combustible, dont la nécessité devient aiguë pendant la froide saison hivernale. Un système sylvopastoral efficace, couplé avec une procédure contrôlée de rotation des troupeaux dans les pâtures, compléterait la pratique actuelle de manière fort intéressante.
La figure 17 montre quelles relations lient les uns aux autres certains éléments d’un système agro-alimentaire à dominante animale, typique du Swaziland. Naguère encore efficaces, ces systèmes se dégradent à présent, d’une part à cause des demandes croissantes d’une population en expansion et, d’autre part parce que le bétail est passé des mains d’éleveurs confirmés dans celles d’agriculteurs et d’épargnants sans véritable expérience de la gestion des troupeaux. La recherche et la vulgarisation ne contribuent guère à freiner cette tendance et persistent à sous-estimer l’efficacité des systèmes traditionnels, ainsi que la productivité potentielle des ressources naturelles. Il convient de souligner que l’on trouvera probablement de meilleures solutions dans un appui aux systèmes mixtes de transhumance et d’agriculture par un meilleur usage des engrais, des légumineuses fourragères et des cultures de rapport, bien plus que dans le creusement de puits, la multiplication des services vétérinaires et la protection farouche des herbages. Les circonstances socio-économiques sous-jacentes ne sont pas favorables à de telles solutions, en raison des relations parfois tendues entre éleveurs et cultivateurs.
Il faut aussi tenir compte du besoin croissant de techniques visant à fournir du fourrage économique aux exploitants des systèmes d’élevage sédentaire. Les sources principales de fourrage sont les résidus des récoltes et les herbes sauvages poussant autour des champs cultivés. Ces deux sources pourraient être mieux gérées, mais il faudrait alors ajouter des apports extérieurs pour augmenter la production. Bien que les céréales tirent leur importance du grain qui entre dans la consommation humaine, la paille ne manque pas d’intérêt, par sa contribution à la productivité de l’élevage. Il faut en tenir compte dans le développement de variétés végétales destinées aux systèmes agro-alimentaires couvrant à la fois l’agriculture et l’élevage; le programme de recherche génétique sur l’orge, au Centre international de recherche agricole dans les zones arides (ICARDA), en est un bon exemple.
L’élevage et la production animale
En Afrique subsaharienne, l’élevage et ses produits dérivés contribuent pour environ 19 pour cent à la valeur de la production du secteur de l’agriculture, des forêts et des pêches. Cependant, cette mesure sous-estime l’importante contribution que l’élevage apporte souvent à la production végétale sous forme d’énergie de traction et de fumier. Dix pays sont responsables de 70 pour cent de la valeur de la production animale et cinq pays de la moitié de la production: Ethiopie, Kenya, Nigéria, Soudan et République-Unie de Tanzanie. Au tableau 16, figurent les effectifs de plusieurs espèces animales de l’Afrique subsaharienne en 1994.
Les produits animaux, surtout la viande et le lait, sont des produits d’élasticité
FIGURE 17 |
Source: Sam-Aggrey, 1983. |
revenu très élevée, ce qui signifie que leur consommation augmente avec le revenu et l’urbanisation. En moyenne, la viande et ses produits dérivés ne représentent pas plus de 3,2 pour cent de la disponibilité énergétique alimentaire (DEA) en Afrique subsaharienne. Cependant, dans certains pays, la contribution de la viande à la DEA est bien plus élevée. Peu consommé, le lait ne fournit que 2,5 pour cent de la DEA, sauf parmi les populations pastorales où ce produit peut fournir plus de la moitié de l’apport énergétique total de la ration (voir au chapitre 7 la section sur la composition des régimes alimentaires africains). L’intérêt des protéines animales est beaucoup plus grand que ne le suggère leur quantité dans les rations. En effet, la consommation de protéines animales, même en petite quantité, améliore la qualité protéique d’un régime alimentaire basé sur les céréales et l’utilisation de toute la ration protéique par l’organisme.
TABLEAU 16 |
|||||
Effectifs du cheptel de l’Afrique subsaharienne,
1994 |
|||||
Pays |
Bovins |
Ovins |
Caprins |
Porcins |
Volailles |
Angola |
3 280 000 |
255 000 |
1 570 000 |
805 000 |
6 400 |
Bénin |
1 223 000 |
960 000 |
1 190 000 |
555 200 |
20 000 |
Botswana |
2 800 000 |
238 000 |
1 850 000 |
16 000 |
2 100 |
Burkina Faso |
4 261 400 |
5 686 000 |
7 242 100 |
550 900 |
18 776 |
Burundi |
420 000 |
350 000 |
920 000 |
80 000 |
3 800 |
Cameroun |
4 870 000 |
3 780 000 |
3 770 000 |
1 400 000 |
20 000 |
Congo Rép. |
68 000 |
111 000 |
305 000 |
56 000 |
1 800 |
Côte d’Ivoire |
1 231 000 |
1 251 000 |
978 000 |
403 000 |
26 919 |
Djibouti |
190 000 |
470 000 |
507 000 |
- |
- |
Ethiopie |
29 450 000 |
21 700 000 |
16 700 000 |
20 000 |
54 200 |
Gabon |
39 000 |
172 000 |
84 000 |
165 000 |
2 600 |
Gambie |
400 000 |
121 000 |
150 000 |
11 000 |
500 |
Ghana |
1 680 000 |
3 288 000 |
3 337 000 |
595 000 |
11 500 |
Guinée |
1 780 000 |
475 000 |
580 000 |
38 000 |
13 500 |
Kenya |
12 500 000 |
5 500 000 |
7 300 000 |
102 000 |
25 000 |
Lesotho |
600 000 |
1 200 000 |
750 000 |
60 000 |
1 400 |
Libéria |
36 000 |
210 000 |
220 000 |
120 000 |
3 500 |
Madagascar |
10 288 000 |
740 000 |
1 300 000 |
1 558 000 |
23 000 |
Malawi |
980 00 |
196 000 |
890 000 |
245 000 |
8 750 |
Mali |
5 541 500 |
5 172 500 |
7 380 000 |
62 800 |
23 250 |
Mauritanie |
1 100 000 |
5 280 000 |
3 520 000 |
- |
3 900 |
Mozambique |
1 270 000 |
120 000 |
384 000 |
172 000 |
22 500 |
Namibie |
2 035 790 |
2 619 520 |
1 639 210 |
17 843 |
2 000 |
Niger |
1 968 100 |
3 678 400 |
5 565 760 |
38 500 |
20 000 |
Nigéria |
16 316 000 |
14 000 000 |
24 500 000 |
6 926 000 |
122 000 |
Ouganda |
5 150 000 |
1 850 000 |
3 450 000 |
910 000 |
22 000 |
République centrafricaine |
2 735 100 |
163 700 |
1 340 000 |
524 100 |
3 282 |
Rwanda |
453 827 |
280 000 |
950 000 |
90 000 |
1 400 |
Sénégal |
2 800 000 |
4 600 000 |
3 200 000 |
320 000 |
38 000 |
Sierra Leone |
360 200 |
301 900 |
165 800 |
50 000 |
6 000 |
Somalie |
5 000 000 |
13 000 000 |
12 000 000 |
9 000 |
3 000 |
Soudan |
21 750 000 |
22 800 000 |
16 400 000 |
- |
36 000 |
Swaziland |
626 356 |
27 000 |
428 000 |
30 000 |
1 000 |
Tanzanie, Rép.-Unie |
13 376 000 |
3 955 000 |
9 682 000 |
335 000 |
24 000 |
Tchad |
4 620 750 |
2 151 540 |
3 178 260 |
16 813 |
4 400 |
Togo |
248 000 |
1 200 000 |
1 900 000 |
850 000 |
5 685 |
Zaïre (ex-) |
1 475 276 |
1 046 878 |
4 212 409 |
1 191 546 |
35 000 |
Zambie |
3 300 000 |
69 000 |
620 000 |
295 000 |
22 000 |
Zimbabwe |
4 300 000 |
450 000 |
2 580 000 |
246 173 |
13 500 |
Total |
170 523 300 |
129 468 400 |
152 738 500 |
18 864 880 |
652 712 |
Source: FAO, 1996e.
En Afrique subsaharienne, les animaux contribuent aussi indirectement à la nutrition humaine. Le bétail est la première source du revenu liquide utilisé par les éleveurs pour l’achat de céréales alimentaires. Dans les populations d’agriculteurs sédentaires, le bétail améliore la viabilité économique et la durabilité des systèmes agro-alimentaires. La présence du bétail diversifie les options de production et de gestion, augmente la production et le revenu de l’exploitation, procure de l’emploi toute l’année et sert de garantie dans les périodes incertaines. Le bétail constitue souvent la réserve majeure de capital des ménages d’agriculteurs sédentaires et d’éleveurs nomades.
Les disponibilités de poisson
En Afrique, la terre ferme est la principale source de vivres en ce qui concerne les végétaux et les produits de l’élevage, mais les rivières, les lacs et les eaux littorales jouent également leur rôle dans l’approvisionnement alimentaire du continent en fournissant du poisson. Ce dernier et les autres produits de la pêche fournissent en moyenne 3,8 pour cent des protéines alimentaires totales de l’Afrique subsaharienne. La figure 18 montre la superficie de certaines étendues d’eau de l’Afrique continentale. Le tableau 17 donne le bilan alimentaire du poisson et des autres produits de la pêche des pays africains pour la période triennale 1988-1990.
La pêche joue un rôle important dans la production d’aliments, la création de revenus et l’offre d’emplois. Selon le Centre international d’aménagement des ressources bioaquatiques (ICLARM), le nombre de pêcheurs à plein temps en Afrique subsaharienne s’élève à environ 1,5 million. En outre, on dénombre plusieurs millions de pêcheurs à temps partiel.
L’aquaculture diffère de la pêche exactement comme l’agriculture diffère de la chasse et de la cueillette. L’impact potentiel de l’aquaculture sur la sécurité alimentaire des ménages est résumé au tableau 18. D’autres informations sur le rôle que peut jouer l’aquaculture dans l’amélioration de la situation nutritionnelle des ménages sont données au chapitre 5.
Il serait encore possible d’augmenter de beaucoup les captures de poisson dans les eaux continentales africaines, mais les pêcheurs sont si nombreux en divers endroits que souvent il ne leur est plus possible de gagner décemment leur vie en pêchant. Dans ces communautés, la pauvreté devient une cause majeure de détresse nutritionnelle. Le problème de la pêche s’aggrave encore du fait des chalutiers étrangers qui viennent concurrencer l’industrie halieutique nationale dans certaines eaux territoriales, sans aucun bénéfice pour les communautés locales ni pour l’économie nationale, ou si peu.
FIGURE 18 |
Source: FAO, 1992d. |
TABLEAU 17 |
||||
Disponibilités de poisson et de produits de la pêche (moyenne), 1988-1990 |
||||
Pays ou région |
Production |
Importations |
Exportations |
Disponibilités |
Afrique de l’Ouest |
1 389 092 |
927 143 |
330 327 |
11,3 |
Bénin |
40 263 |
4 052 |
122 |
9,8 |
Burkina Faso |
7 649 |
8 930 |
0 |
1,9 |
Cap-Vert |
7 475 |
69 |
1 918 |
16,9 |
Côte d’Ivoire |
82 584 |
227 253 |
76 503 |
20,2 |
Gambie |
14 311 |
7 047 |
6 493 |
16,8 |
Ghana |
371 835 |
31 946 |
18 392 |
26,4 |
Guinée |
33 333 |
8 861 |
0 |
7,6 |
Guinée-Bissau |
5 163 |
533 |
465 |
5,5 |
Libéria |
16 337 |
17 805 |
618 |
13,4 |
Mali |
66 087 |
2 211 |
1 860 |
7,4 |
Mauritanie |
90 247 |
412 |
70 975 |
10,1 |
Niger |
3 538 |
1 365 |
0 |
0,7 |
Nigéria |
298 473 |
541 366 |
5 525 |
8,9 |
Sainte-Hélène |
867 |
4 |
271 |
99,3 |
Sénégal |
282 867 |
35 837 |
144 779 |
24,4 |
Sierra Leone |
52 154 |
3 340 |
2 199 |
13,6 |
Togo |
15 909 |
36 114 |
206 |
15,1 |
Afrique centrale |
458 316 |
343 787 |
11 827 |
11,6 |
Angola |
104 594 |
97 426 |
1 963 |
22,4 |
Cameroun |
79 272 |
75 307 |
5 020 |
13,4 |
Congo, Rép, |
45 342 |
36 545 |
3 618 |
36,1 |
Gabon |
22 487 |
13 661 |
1 127 |
31,4 |
Guinée équatoriale |
4 000 |
2 681 |
99 |
19,1 |
République centrafricaine |
13 089 |
1 771 |
0 |
5,2 |
Sao Tomé-et-Principe |
3 200 |
544 |
- |
32,2 |
Tchad |
23 000 |
- |
- |
4,2 |
Zaïre (ex-) |
163 333 |
115 851 |
0 |
7,7 |
Afrique de l’Est |
1 146 871 |
50 366 |
56 317 |
6,0 |
Burundi |
13 278 |
349 |
0 |
2,6 |
Comores |
6 750 |
523 |
0 |
13,9 |
Djibouti |
415 |
948 |
0 |
2,8 |
Ethiopie |
4 435 |
41 |
13 |
0,1 |
Kenya |
162 110 |
422 |
19 526 |
6,3 |
Madagascar |
101 135 |
454 |
7 890 |
7,7 |
Malawi |
84 300 |
404 |
275 |
9,5 |
Maurice |
16 335 |
10 949 |
6 999 |
19,4 |
Mozambique |
37 714 |
12 647 |
5 323 |
3,2 |
Ouganda |
223 906 |
- |
- |
12,9 |
Réunion |
2 009 |
12 991 |
642 |
24,2 |
Rwanda |
1 776 |
327 |
0 |
0,3 |
Seychelles |
4 705 |
8 054 |
8 693 |
59,2 |
Somalie |
17 967 |
5 |
4 359 |
1,6 |
Tanzanie, Rép,-Unie |
382 352 |
343 |
988 |
15,4 |
Zambie |
63 933 |
618 |
1 576 |
8,0 |
Zimbabwe |
23 750 |
1 291 |
33 |
2,6 |
Afrique australe |
104 872 |
7 239 |
7 456 |
5,0 |
Botswana |
1 900 |
4 607 |
789 |
4,6 |
Lesotho |
30 |
2 632 |
0 |
1,5 |
Namibie |
23 032 |
- |
- |
12,5 |
Swaziland |
110 |
- |
- |
0,2 |
Source: FAO, 1995b.
TABLEAU 18 |
|||
Impact potentiel de l’aquaculture sur la sécurité alimentaire des ménages |
|||
Eléments clés de la sécurité alimentaire du ménage |
Poisson/aquaculture liés à la sécurité alimentaire du ménage |
Conditions préalables |
Activités susceptibles de renforcer le potentiel pour la sécurité alimentaire et la nutrition du ménage |
Accès aux disponibilités alimentaires |
Disponibilité physique de poisson |
Argent pour acheter du poisson |
|
Production propre |
Terrain, eau, facteurs de productiona, travail, temps, compétence |
Vulgarisation, crédit pour les facteurs de production, recherche de moyens dont pourraient bénéficier les groupes ne disposant pas de ces ressources |
|
Revenu des ventes |
Surplus, produit vendable, demande existante |
Formation sur le traitement du poisson, assistance à l’évaluation du marché, promotion pour créer une demande, quand cette dernière n’existe pas |
|
Moyens de commercer pour obtenir d’autres aliments |
Autres aliments disponibles pour des échanges |
|
|
Apport alimentaire satisfaisant en qualité et diversité (apport adéquat de nutriments) et en quantité (apport adéquat d’énergie) |
Consommation de poisson |
Envie de manger du poisson (ou de l’utiliser), prise de conscience de l’importance de la diversité; type de poisson culturellement acceptable |
Promotion des avantages du poisson; utilisation dans la nourriture des enfants (éducation nutritionnelle) |
Intégration avec l’élevage de canards, la culture du riz et des légumes |
Connaissance du potentiel, des avantages et des méthodes d’élevage |
Vulgarisation pour promouvoir l’intégration avec d’autres activités |
|
Argent pour acheter d’autres aliments (ou moyen de commercer) |
Disponibilité d’autres produits à acheter ou à commercer, par exemple accès au marché |
|
|
Argent pour acheter de l’huile ou du sucre, afin d’accroître la densité énergétique (ou moyen de commercer) |
Connaissance de l’avantage d’ajouter de l’huile ou du sucre à la nourriture des enfants pour en réduire le volume |
Education nutritionnelle |
|
Stabilité des apports alimentaires pour assurer une disponibilité et un accès en tout temps |
Poisson pour combler les déficits saisonniers de condiments/protéines |
Saison d’élevage et époque de récolte coïncidant avec les déficits saisonniers; connaissance et utilisation des techniques de transformation pour faciliter le stockage |
Formation de vulgarisateurs pour adapter les techniques aux besoins des exploitants, promotion et enseignement des techniques de transformation |
Extension de la saison d’élevage en utilisant l’eau des mares, pour combler les déficits avec des légumes |
Compétence en matière d’intégration des légumes pour un bénéfice maximal |
Promotion de l’intégration |
|
Diversification de la production alimentaire et des revenus, étalement des risques |
Disponibilité permanente de poisson |
Promotion de bonnes pratiques de récoltes intermittentes |
|
Etang de pisciculture pour aider à surmonter les crises |
|
|
a Par facteurs de production, on entend les alevins et autres poissons servant à démarrer un élevage, le compost, le fumier, l’engrais et les aliments pour animaux/poissons, selon le type d’élevage de poisson pratiqué.
Source: FAO, 1993d.
[3] La notion de région
fait ici référence à l’ensemble des pays voisins qui
entretiennent entre eux des échanges commerciaux de produits
alimentaires. |